“Infantilization”: The relationship between NGOs and the population

Enfantilizasyon moun ki benefisye èd ONG te – PowerPoint Presentation

“Infantalisation”

L’INFANTILISATION DES BÉNÉFICIAIRES DE L’AIDE DES ONG APRÈS LES SÉISMES DU 12 JANVIER

Ilionor LOUIS

  1. Je voudrais commencer la séance d’aujourd’hui avec une citation d’Immanuel Kant relative à l’utilisation de sa raison par un individu comme preuve de sa capacité de participer au débat public en ce qui le concerne.
  2. « Le militaire dit: «Ne raisonnez pas, faites vos exercices!». Le percepteur: «Ne raisonnez pas, payez!». Le prêtre: «Ne raisonnez pas, croyez!». (Il n’y a qu’un seul maître au monde qui dise: «Raisonnez autant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, mais obéissez!»3) Dans tous ces cas il y a limitation de la liberté… Mais quelle limitation fait obstacle aux lumières? Et quelle autre ne le fait pas, voire les favorise peut-être? Je réponds: l’usage public de notre raison doit toujours être libre, et lui seul peut répandre les lumières parmi les hommes; mais son usage privé peut souvent être étroitement limité, sans pour autant gêner sensiblement le progrès des Lumières »
  3. « L’infantilisation€ est une attitude consistant à considérer l’autre comme un enfant, incapable de se débrouiller tout seul, de prendre les bonnes décisions ou de juger par lui-même ce qui est bon pour lui. La personne qui infantilise se met dans une position de supériorité vis-à-vis de la personne infantilisée (paternalisme) et va tenter de lui dire ce qui est bon pour elle, va vouloir faire les choses à sa place, lui faire la morale ou lui dire comment elle doit penser ou se comporter. L’infantilisation peut être suggérée par la personne infantilisée qui par son comportement est en demande de paternalisme, de prise en charge, que ce soit de façon consciente ou inconsciente »
  4. L’attitude d’infantilisation peut provenir d’un désir sincère d’aider l’autre, convaincu qu’on a la bonne solution ou que l’autre fait fausse route, d’une volonté de remettre l’autre dans le droit chemin, dans la norme, parce qu’on juge qu’il a une attitude puérile, ou bien d’un désir de domination de l’autre. L’infantilisation peut conduire la personne infantilisée, si elle n’y prend garde ou en prend conscience à épouser le point de vue, la projection de la personne qui l’infantilise et à se laisser convaincre qu’elle n’est décidément pas capable de se comporter, qu’elle n’est pas assez mature
  5. Dans le cadre de ce séminaire, j’aborderai la thématique de l’infantilisation des populations sous trois angles :
  • Les rapports de coopération entre la République d’Haïti d’autres États de la planète notamment les États les plus puissants tels que les États-Unis, le Canada et la France.
  • Les rapports des de l’État haïtien avec certaines catégories de la population notamment à travers certaines politiques de soulagement de la pauvreté ou de fixation du salaire minimum
  • Les relations de certains types d’organisations non gouvernementales (ONG) avec les bénéficiaires de leurs programmes
  1. Je pars de l’hypothèse que les relations d’infantilisation sont déterminées par la variété et la quantité de ressources dont disposent les acteurs impliqués dans ce processus, de telle sorte que ceux qui en sont mieux pourvus ont tendance à exercer un pouvoir qui va jusqu’à la méconnaissance de la capacité de l’autre de délibérer, d’argumenter et de déterminer les conditions de son bien-être.

 

L’infantilisation à travers la coopération

  1. La coopération se définit comme «  une politique d’aide économique, financière, culturelle et technique, mise en œuvre à l’échelle internationale entre les pays industrialisés et les pays en développement »[1]. On parle de coopération multilatérale, de coopération bilatérale, de coopération public/privé, de coopération verticale/horizontal. Le multilatéralisme se définit donc « un système de relations internationales qui privilégie les négociations, les engagements réciproques, les coopérations, les accords entre plus de deux pays, dans le but d’instaurer des règles communes»[2]).
  2. La coopération multilatérale a lieu au départ des gouvernements. Aujourd’hui, par contre les ONG intervenant dans le domaine du développement établissent des relations multilatérales avec des institutions multilatérales telles que la Banque Mondiale, la Banque interaméricaine de développement, des agences des nations-Unies et l’union européenne. Quant à la coopération bilatérale, elle s’établit entre les gouvernements de deux pays.
  3. Le canal gouvernemental-privé est utilisé par les ONGD de développement à travers l’établissement des relations avec leurs partenaires dans différents pays notamment ceux du tiers-monde. Enfin, le canal vertical concerne la coopération nord-sud/ sud-nord tandis que le canal horizontal s’établit entre les pays du Sud. Mais de plus en plus, certains pays en émergence mettent en place leur propre entité de coopération au développement international
  4. Pour comprendre l’infantilisation à travers la coopération, il faut chercher à comprendre le rôle joué par les ONG et des Entités de coopération au développement international dans la coopération internationale
  5. Il y avait, en principe deux visions du développement avec les pays du tiers-monde: l’une philanthropique basée sur des programmes de dons ou de transferts nets de ressources par laquelle les coopérants cherchaient le développement comme une idée à réaliser. La seconde vision mettait l’accent sur le commerce et était basée sur des programmes d’échanges commerciaux et technologiques entre ceux qui coopéraient (Corsino, 1996). C’était au cours des années 1960.
  6. Mais à partir des années 80, on commença par développer un changement : la coopération internationale au développement doit s’orienter vers les personnes et non vers les états. Les protagonistes doivent être les sociétés civiles plutôt que les gouvernements. On laisse à chaque région la responsabilité de son propre développement
  7. Ainsi, les agences de coopération multilatérale allaient utiliser les ONG développementistes établis dans les pays du tiers-monde pour allouer des fonds qui jadis passaient par les gouvernements de ces pays. Ces agences arrivent à contourner les gouvernements des pays récepteurs pour financer des projets qui ne reçoivent même pas l’approbation de ces gouvernements. C’est un des canaux de leur infantilisation. Les agences multilatérales font à travers des ONG exécuter des projets sans consultation et approbation des autorités établies.
  8. Les entités de coopération au développement international (ECDI) constituent un canal efficace de transit de l’argent obtenu de leur gouvernement et des campagnes de collectes de fonds vers les ONG de développement. Il y en qui se consacrent à la collecte de fonds à acheminer aux ONG des pays du tiers-monde, d’autres qui recrutent du personnel et des techniciens pour appuyer certains programmes tels que la santé et l’éducation dans ces pays. C’est une des sources d’exportation des expatriés dans les pays du tiers-monde qui vont concurrencer grandement avec les élites locales
  9. En Haïti, jusque dans les années 1970 la coopération multilatérale se faisait d’État à État. Les governments des pays post-industrialisés avaient l’État haïtien comme interlocuteur pour négocier, prendre des engagements, passer des accords entre autres. Mais avec l’application des politiques néolibérales, la coopération au développement cesse de transiter par l’État pour passer par les Organisations non Gouvernementales (ONG) notamment des ONG qui au départ étaient assistancialistes mais qui allaient se transformer en ONG de développement telles que CARE, ADRA, CRS. Ces ONG, on va le voir, font un traitement en mineur des populations bénéficiaires de leurs interventions, se situant dans la logique des intérêts des pays donateurs
  10. Cooperation canado-haïtienne. «  Durant les années 1980, et particulièrement dans la foulée du renversement de la dictature de J.C. Duvalier, une autre approche de l’aide sera mise en place. Sous la pression de la communauté canado-haïtienne, l’aide bilatérale est suspendue au profit des organisations de la société civile, l’objectif, comme l’indique l’organismeDroits et Liberté, étant de permettre « la mise en œuvre d’un projet de société égalitaire et respectueuse des droits humains ». L’ACDI réalise ce projet en créant un fonds pour Haïti dirigé par un organisme québécois, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), Le Fonds délégué-AQOCI [6] ». L’État a été mis de côté.
  11. « Malgré les affirmations contraires, un programme d’« essai » de bons alimentaires dans le département de la Grand’Anse, sur la presqu’île sud-ouest d’Haïti, a incité près de 18 000 familles à consommer des denrées importées au détriment de la production locale ».
  12. « La législation des États-Unis stipule que presque toute l’aide alimentaire des États-Unis doit avoir été récoltée et transformée aux États-Unis. Comme pour beaucoup d’autres programmes de coupon alimentaire et de transfert d’argent dans le pays, CARE a signé un contrat avec la compagnie de téléphone cellulaire Digicel pour assurer le transfert de liquidités. En plus de rémunérer la Digicel pour ces services, le programme de CARE doivent verser au gouvernement haïtien 10 % « sur toutes les transactions financières mobiles, y compris les transferts aux bénéficiaires, le paiement au fournisseur de service et le décaissement », selon un rapport de l’USAID de 2013 ». Seulement 10% comme pour un État indigent
  13. Aujourd’hui, tous les pays post industrialisés auto-proclamés amis de la République d’Haïti disposent de leur propre entité de coopération au développement international. Les États-Unis ont l’USAID, la France, l’Agence Française de Développement (AFD), le Canada, l’Agence canadienne pour le développement international (ACDI). Ces agences collaborent directement avec des ONG établies sur place sans négocier nécessairement avec l’État sur les priorités du développement.
  14. Infantilisation des populations victimes du tremblement de terre du 12 janvier
  15. Organisations non gouvernementales (ONG), institutions publiques étatiques, organismes de coopération au développement international, organismes des Nations-Unies, grandes personnalités du cinéma et de la chanson, bref artistes et comédiens se sont organisés après le séisme pour voler au secours de la population victime. Avant leur arrivée, les populations de différents quartiers ont développé une solidarité hors pair pour sortir des personnes et des cadavres sous les décombres, transporter des blessés à l’hôpital, donner à manger et à boire à ceux qui en avaient besoin et qui ne pouvaient pas satisfaire ces besoins.
  16. Les populations de villes meurtries par la catastrophe ont été infantilisées à travers la distribution de l’aide et les types de rapport développés avec les victimes.
  17. Mettre en ligne sous un soleil de plomb. Les bénéficiaires de l’aide sont mis en ligne pour recevoir des rations alimentaires, des kits d’hygiène, de l’eau, des couvertures entre autres. Ils sont pris pour ce qu’ils sont, ces individus traumatisés par la catastrophe : des victimes pitoyables.
  18. Faire fi du passé et de l’expérience de la victime. Les intervenants ne semblent pas être intéressés à connaître leur histoire, leur passé, comment ils vivaient, comment ils se débrouillaient pour vivre. C’est comme le rapport du parent avec son enfant. Le considérant comme mineur, il ne lui donne pas la parole dans la prise des décisions le concernant. Il ne fait que décider à sa place.
  19. Emmener des familles sans leur consentement dans des endroits inconnus. Des individus et des familles ont été emmenés par groupe dans des sites d’hébergement spécifiques sans savoir où elles allaient. C’est le cas de la population emmenée à Corail Cesse-lesse. Des logements provisoires ont été construits de manière unilatérale pour des familles sans avoir préalablement cherché à connaître la composition de cette famille, sa taille. Que la famille soit composée de quatre ou de 12 personnes, un logement dit provisoire de 18 à 22 mètres carrés lui est offert. Dans certains endroits, des perquisitions surprises sont organisées à minuit sous des tentes pour déterminer si un individu qui affirmait vivre sous cette tente était vraiment là. C’est comme ne pas faire confiance à la parole d’un adolescent
  20. Évacuation des sites provisoires. Pour porter les personnes à vider lieux occupés deux ans après le séisme le retour à la maison a été élaboré. Conduit par l’organisation internationale pour les Migrations (OIM), ce programme consiste à payer un bail de 20000 gourdes au ménage. L’essentiel est de le porter à vider les lieux avec l’appât des 20000 gourdes. Peu importe la composition de la famille et le lieu où elle va emménager. Peu importe si elle pourra continuer ou non à honorer son bail. Il doit se débrouiller et savoir surtout qu’on ne va pas lui permettre de retourner où il était avant.
  21. Je crois que le gouvernement haïtien de concert avec les ONG et des organismes de coopération ont commis une grosse erreur méthodologique en traitant en mineur les populations rescapées, bref, en les prenant pour de simples victimes qui ne méritent que d’être secourues. Ce sont des personnes à part entière, des adultes qui ont acquis suffisamment d’expérience pour faire face à la réalité de la marginalisation ou de la précarisation.
  22. Prise en charge maternée et sevrage-abandon. On leur a distribué de l’eau, des médicaments, on a mis à leur disposition des toilettes mobiles, on leur a distribué de la nourriture, on leur a construit des logements. Des envelopes ont été même distribuées à des personnes vivant avec un handicap. On a beau essayer de créer des emplois provisoires baptisés cash for work (de l’argent pour le travail). Les intervenants n’ont pas su trouver une autre approche plus valorisante que cette démarche plutôt «maternaliste ».
  23. La prise en charge maternée s’est soldée par un « sevrage-abandon ». La mère, après avoir pris soin de l’enfant, doit le sevrer, le moment venu, pour cesser d’avoir d’autres enfants ou pour concevoir un autre. Mais le pire, dans ce scénario, c’est qu’après avoir été sevré, l’enfant est abandonné, puisqu’il n’y a plus de ressources pour l’entretenir.

 

[1] http://www.toupie.org/Dictionnaire/Cooperation.htm

[2] idem