General Context of NGOs in Haiti
January 22, 2017Par Ilionor LOUIS
Pour parler des ONG en Haïti, je dirais qu’elles constituent un vaste champ où chaque ONG ou groupe d’ONG dispose d’un ensemble de ressources et d’atouts qui lui permettent d’occuper une position spécifique par rapport à d’autres ONG, selon sa mission déclarée, ses activités et la notoriété acquise auprès de ses bailleurs de fonds et des bénéficiaires de ses projets.
Historique des ONG en Haïti relatif à la coopération internationale
L’émergence des ONG en Haïti commence avec le début de l’application des politiques néolibérales en 1980. La stratégie a été d’éviter l’État et de renforcer les organisations non gouvernementales pour transiter l’aide à la population. Dans ce sens, en 1981, un amendement à la loi des États-Unis sur l’aide étrangère stipulait que l’aide au développement à partir de 1982 devait passer par les organisations non gouvernementales, afin d’éviter les institutions étatiques peu efficaces et de mettre l’accent sur le développement local.
En 1983, l’USAID trouva un nouveau moyen pour esquiver l’État en accordant 50% de ses fonds à des ONG. Depuis 1981, 25 ONG étaient enregistrées à l’Agence américaine en vue de se porter candidats pour exécuter ses projets. C’étaient des organisations d’origine laïque. A ce moment, l’USAID, afin de coordonner et d’orienter ses activités, contribua à la création d’une association des organisations à but non lucratif dont les membres représentaient le noyau des organisations les plus représentatives.
Un des arguments pour mettre à l’écart les institutions publiques étatiques est la corruption et l’inefficacité. Selon l’agence, les ONG seraient plus efficaces et plus proches de la population. Pourtant, une enquête du Miami Herald, qui durait environ quatre mois à l’époque, révélait qu’il y avait beaucoup de cas de fraude. Quand des inspecteurs de Catholic Relief Service (CRS) étaient allés vérifier les adresses de 55 institutions qui recevaient de l’aide alimentaire, ils ont rencontré des cimetières, des terrains sans construction et des magasins. Donc, autant au niveau du gouvernement qu’au niveau des ONG Malgré tout, la préférence de l’Agence pour les ONG ne changea pas
Nous pouvons dire que la période 1980-1990 est une période d’émergence des ONG dans la satisfaction de certains besoins, notamment des besoins alimentaires. À cause de la dépendance de ces ONG de l’Agence américaine pour le développement international qui dépend pour sa part du gouvernement américain, les projets exécutés ne correspondaient pas réellement aux intérêts de la population haïtienne. Au contraire, la plupart des projets réalisés visaient surtout à saper la production agricole nationale.
L’USAID a été accusé de mener une politique qui vise à maintenir la population haïtienne dans la faim et l’insécurité alimentaire. C’est du moins ce qu’a affirmé Laurie Richardson dans une étude menée en Haïti pour le compte de Grassroots International. Cette étude révèle que des projets appelés food for work (alimentation pour de la nourriture) ont été exécutés au cours des saisons pluvieuses de telle sorte que la population n’ait pas eu le temps d’aller travailler pour produire de la nourriture. Les ONG, soutenues par des entités de coopération au développement international, remplaceraient, on dirait, le gouvernement dans la réalisation de certains projets. C’est dans ce sens que Janil Louis-Juste, dans un de ses ouvrages, formulait la question à savoir : ONG, quel type de gouvernement êtes-vous?
Deux décennies de troubles sociopolitiques : la misère a augmenté, les ONG aussi en nombre.
En septembre 1989, le régime militaire dirigé par le lieutenant-Général Prosper Avril des forces Armées d’Haïti prit un décret de reconnaissance légale des ONG en Haïti. Selon les termes de ce décret : « Sont désignées ‘’Organisations Non Gouvernementales d’Aide au Développement’’, et identifiées ci-après sous le sigle d’ONG toutes Institutions ou Organisations privées, apolitiques, sans but lucratif, poursuivant des objectifs de Développement aux niveaux national, départemental ou communal et disposant de ressources pour les concrétiser ».
Il s’agit là d’une des premières tentatives d’institutionnalisation du secteur des ONG, désormais impliqué dans des activités de développement aux niveaux national, départemental ou communal et disposant de ressources à cet effet. Est-ce que ces entités peuvent travailler pour des gouvernements étrangers. Il est dit ceci dans ce décret : « Une ONG, une association ou fédérations d’ONG ne peut œuvrer comme agence d’exécution d’un gouvernement étranger sur le territoire national qu’en vertu d’une autorisation spéciale du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe. En outre, elle ne pourra intervenir auprès des coopératives sous quelque forme que ce soit qu`après autorisation expresse du Conseil National des Coopératives(CNC) ».
Par le décret du 14 septembre 1989, le ministère de la planification et de la coopération externe est devenu l’organisme responsable de la coordination et de la supervision des activités des ONG sur le territoire national. Il dispose d’une unité de coordination des activités des ONG définie comme une structure relevant du MPCE et qui siège au Bureau Central de cette institution. L’organisation et le fonctionnement de cette Unité sont réglementés par la loi organique du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE).
Coup d’État et embargo : les ONG dans la tourmente
Les ONG dans la Tourmente, dans la période du coup d’État, est une expression puisée dans un document mis en ligne par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) pour traduire la situation des ONG au cours de cette période. En effet, après le coup d’État du 30 septembre 1991, un embargo commercial a été déclaré par l’Organisation des États américains contre Haïti. Ont été inclus dans cet embargo l’aide publique au développement et l’assistance technique étrangère (ATE). À la fin décennie 1980-1990, soit en 1988, l’ATE équivalait à 75% du budget de fonctionnement des ministères, à 50% du budget d’investissement du trésor public, à 80% de la masse salariale de la fonction publique, à 41% du PNB, à 44% des entrées de capitaux et à 12% du déficit de la balance des paiement » ( IRD, 1993).
À cause de cette décision, le travail des ONG qui intervenaient auprès des organisations haïtiennes impliquées dans des actions de développement a connu des modifications « Beaucoup de projets ont été ainsi suspendus ou réorientés. Mais au bout de quelques mois, les ONG les plus impliquées sur le terrain constatèrent que leur retrait risquait de défavoriser les espaces de démocratie et d’organisation encore existants. Aussi demandèrent-elles biais de différentes instamment un élargissement de la notion (d’aide humanitaire pour pouvoir continuer à travailler. II fallait éviter de pénaliser la majorité de la population, favorable à l’embargo, bien qu’elle en fût, finalement, la principale victime ».
Beaucoup d’ONG ont dû changer de stratégie, quoiqu’elles étaient présentes depuis très longtemps dans le pays. Les ONG qui dépendaient du financement public, ont été contraintes de changer de stratégie et d’activités à cause de la répression et de l’embargo. Il y en a qui ont transféré leurs ressources et leurs programmes vers des actions dites d’urgence telle que la gestion de l’eau, la distribution des semences, des programmes de santé. C’est à cette période que des ONG spécialisée dans l’action urgente ont démarré des opérations en Haïti (IRD, idem)
Typologie des ONG en Haïti
Sauveur Pierre Étienne, dans son ouvrage intitulé : Haïti, l’invasion des ONG présente une typologie des ONG répartie comme suit :
- Des ONG étrangères
- Des ONG nationales
- Des ONG « assistancielles »
- Des ONG proposant et utilisant le développement communautaire comme instrument de lutte contre le sous-développement
- Des ONG luttant pour des réformes dans les relations Nord-Sud
- Des ONG luttant pour des transformations au niveau des rapports Centre/périphérie ainsi que des changement dans les structures politique, économique et sociale des pays du Sud
Cette typologie peut nous induire en erreur du fait qu’elle est basée sur la fonction et sur les origines des ONG. Il existe des ONG étrangères qui militent pour des transformations au niveau des rapports Sud/Périphérie. Par exemple, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers monde (CADTM) est une ONG étrangère fonctionnant comme « … un réseau international constitué de membres et de comités locaux basés en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il agit en coordination avec d’autres organisations et mouvements luttant dans la même perspective (Jubilé Sud et d’autres campagnes agissant pour l’annulation de la dette et l’abandon des politiques d’ajustement structurel). Son travail consiste principalement à élaborer des alternatives radicales visant la satisfaction universelle des besoins, des libertés et des droits humains fondamentaux ».
Pour éviter toute confusion, je pense qu’il faut s’en tenir aux types d’action posés par les ONG pour en faire une typologie. En Haïti, on trouve des ONG
- Qui appuient les luttes sociales dans plusieurs domaines tels que : la politique, l’économie, le social, l’écologique, le culturel, la défense des droits humains, entre autres. Par une aide financière, la formation, l’accompagnement, elles viennent en aide à des groupes locaux qui impliqués dans la lutte pour la transformation de la société
- Qui appuient le développement local à travers des interventions d’ordre économique. Leurs actions se limitent à des collectivités locales rurales ou urbaines.
- Qui font de l’humanitaire c’est-à-dire qui interviennent dans des domaines divers tels que la Santé, l’habitat, la nourriture, les vêtements, l’eau, l’éducation de base, entre autres.
Combien avons-nous d’ONG en Haïti?
Il est difficile de fournir des données exactes sur le nombre d’ONG qui travaillent en Haïti. Dans leur article, Kathie Klarreich et Linda Polman, affirment ceci : « Le gouvernement haïtien n’est même pas au courant du nombre exact d’ONG fonctionnant dans le pays. Personne ne sait. D’après Bill Clinton, l’envoyé spécial des Nations Unies en Haïti, Haïti occupe la 2e place dans la liste (après l’Inde). Il cite une donnée de la Banque Mondiale qui estime à 10 000 ONG en Haïti en 2009, Jean-Max Bellerive, le ministre du Plan de l’époque, avait estimé qu’il y en avait 3 000 ».
Selon le Ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE), les ONG interviennent dans les domaines suivants : l’éducation, l’agriculture, l’assistance sociale, la santé, entre autres. Elles investissent 3,879,250,567.34 gourdes, touchent 1 188 006.00 bénéficiaires tout en générant 6784 emplois
Des bénéficiaires sectoriels des services fournis par les ONG
Secteur | bénéficiaires | % | Investissement | Emplois générés |
Éducation | 78352.00 | 6.60 | 349453215.18 | 3.326 |
Agriculture | 285871.00 | 24.06 | 104351527.26 | 387 |
Assistance sociale | 179067.00 | 15.07 | 172333112.20 | 345 |
Santé | 511235.00 | 43.03 | 1938301882.70 | 2614 |
Autre | 133481.00 | 11.24 | 1314810830.00 | 112 |
Total | 1188006.00 | 100.00 | 3879250567.34 | 6784 |
Source. MPCE (2008)
C’est dans le secteur de la santé qu’on trouve le plus d’investissement et de création d’emplois de la part des ONG. Pourtant la situation sanitaire est loin d’être confortable en Haïti. Il existe, selon un rapport de l’Organisation panaméricaine pour la Santé, 3.5 professionnels de la Santé pour 10000 habitants. Dans la région, Haïti est derrière Guyana (11.2), le Guatemala (13.6) et la Bolivie (14.1) qui ont moins d’ONG qu’Haïti si nous nous référons à l’article de Klarreich et Polman.
Le tremblement de terre du 12 janvier
La période du tremblement de terre marque l’apogée de ce que Sauveur PierreÉtienne a appelé une invasion des ONG. Mark Schuller, expert dans ce domaine en Haïti utilise un thème que Naomi Klein s’en sert pour faire le titre de son best seller : le capitalisme du désastre. Schuller a démontré que la situation des victimes du tremblement de terre s’est transformé en une sorte de rente qui a permis aux dirigeants des ONG de faire du capital économique. Pour sa part, Raoul Peck, dans un long métrage intitulé « Assistance mortelle » montre comment l’aide d’après le séisme n’a servi que des intérêts étrangers au détriment de la détresse de la population. Ceci est un extrait des domaines d’intervention et des montants reçus par les ONG pour intervenir
Tableau 1. Domaine d’intervention et montant reçu par des ONG humanitaires des plus connues
Nom de l’ONG | Assistance à la population | Nombre de bénéficiaires | Montant reçu (USD) | Nombre d’employés permanent et provisoire | Assistance fournie aux employés |
Agence d’Aide à la
Coopération Technique et au Développement (ACTED) |
Aide humanitaire d’urgence et
soutien au développement dans les domaines d’intervention d’ACTED (Eau, assainissement et hygiène, Aide et sécurité alimentaire, Nutrition, Abris et biens nonalimentaires, Agriculture) |
500 000 | 11 000 000 | 19 perm.
122 prov. |
Des tentes aux employés qui ont perdu leur maison |
Aide et Action
International Haïti (AeA) |
Mise à disposition de médicaments
aux centres de santé, de vivres aux comités de camps Construction d’espaces d’éveils pour les enfants et de soins primaires, de repas chauds Formation des maîtres dans la perspective de la réouverture des classes Mise en place de kits scolaires, de subventions aux écoles pour la gratuite de la scolarisation Organisation de soins et de groupes de parole pour les familles |
2550 | 1 500 000 euros | 50 bénévoles | L’équivalent de 3 mois de
salaire en guise de prime |
Food For The Poor (FFP) | Distribution de matériel médical,
d’eau potable, de produits alimentaires, vêtements et kits d’hygiène Distribution de fours a Kérosène Construction de latrines dans des |
1 164 852 personnes
2044 patients dans les cliniques |
2 323 893.00 | 185 perm | Distribution de tentes, de
sacs de couchage, de « kits » hygiène, de produits alimentaires, de réchauds à gaz, projet à l’étude d’assistance en construction / réparation de maisons endommagées ou détruites |
Intermon Oxfam (IO) | Approvisionnement en Eau Potable
Sanitation globale Promotion à l’hygiène Abris temporaires Cash For Work Projets de réponse humanitaire en
|
73000 | 1500 000 | 140 perm
140 prov |
1 mois de salaire
supplémentaire a été accorde a chaque membre du personnel du bureau pour faire a la situation post séisme |
International Missions
Outreach (IMO) |
Constructions (Eglises, Ecoles,
Maison privée), feeding program, education, clinique médicale poplaire, assistance aux gens. Réparation des maisons endommagées |
31500 | 1 250 000 | 192 | Distribution des tentes,
prélarts, lits, tôle, bois 2x4x8, 1x4x12 nourritures, eau, cash, médicaments |
Source MPCE( 2011)
Au terme d’une recherche menée en Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier, Shuller dit du systême des ONG que
« Gen kèk pwogrè ki te fèt kont SIDA epi pou alfabetizasyon, men preske tout rès endikatè devlopman imen vin degrade depi ONG vin pi pwisan. Se vre, gen kèk ladan ki pote yon soulajman pou moun ki ap viv nan move kondisyon. Men alabaz, ONG yo fè pati de zouti neyoliberal “kominote entènasyonal” la [18]. Pifò ONG entènasyonal jwenn finansman nan Leta etranje, yon filyè politik ekstèn gwo peyi Nò yo [19]. Epitou ONG yo afebli Leta nan fason dirèk ak endirèk. Sitou avèk sa ki te rele Pwogram Ajistiman Estriktirèl (PAS an franse), ensititisyon entènasyonal te redwi kapasite Leta, ki te kreye yon vid ONG vin ranple. Epi ONG yo peye estaf yo anpil pi plis pase Leta, kidonk majorite kad / teknisyen ki te byen fòme, ki te konn travay pou Leta rale kò yo ladann » (Schuller 2013 : 44)
Cinq ans après le tremblement de terre, on est en droit de se demander qu’ont fait les ONG de toute l’aide reçue. Rappelons que cette catastrophe « a détruit ou endommagé plus de 300 000 édifices, jeté plus de 1,5 million de personnes à la rue et provoqué des dégâts évalués à 7,8 milliards de dollars (6,6 milliards d’euros, soit 121 % du PIB de 2009), le bilan de la reconstruction est mitigé » (Caroit, 2015). L’ancien président américain Bill Clinton, un envoyé spécial de l’ONU pour Haïti, déclara qu’il fallait reconstruire mieux. Mais cinq après, même le Fonds Monétaire international reconnut que la croissance attendue de la reconstruction n’était pas au rendez-vous.
Des chiffres alarmants
- Une grande partie des fonds d’aide au logement, soit cinq cent millions de dollars ont été dépensés pour la construction de 114 000 T-shelter (des abris provisoires). Le cout unitaire estimé à 1500 dollars s’est élevé à 4226 dollars
- Aujourd’hui encore, il reste environ 60 000 sans abri dans des camps de fortune
- 60 000 personnes qui avaient trouvé refuge dans les camps improvisés après le séisme ont été expulsées
- Cinq après le séisme, malgré le déferlement d’une horde d’ONG sur Haïti, « Les conditions de vie dans les 123 camps qui subsistent sont de plus en plus difficiles : un tiers des habitants n’ont pas accès à des latrines, ce qui a contribué à une augmentation des cas de choléra». Une épidémie de choléra a tué plus de 8000 personnes en Haïti après le séisme